Sangaré, 50 ans, travailleur jetable
Sans-papiers . Après la visite nocturne du député Jean-Pierre Brard au centre de rétention de Paris, Éric Besson a ajourné l’ expulsion de ce Malien, en France depuis dix-neuf ans.
Il sort de sa cellule les yeux fatigués, surpris de trouver, en pleine nuit, un député au milieu du centre de rétention du Palais de justice de Paris. Seuls ses cheveux poivre et sel trahissent son âge : Garba Sangaré a cinquante ans, dont près de vingt passés en France. Sans-papiers, arrêté le 3 février, il sait qu’il doit être expulsé par le vol Air France Paris-Bamako ce dimanche à 16 h 40. Jean-Pierre Brard, député (apparenté PCF) de Montreuil (Seine-Saint-Denis), exerce son droit de visite parlementaire, pour l’assurer de son soutien. Il est un peu moins de 1 heure du matin, dans la nuit de samedi à dimanche, quand il s’assoit face à Garba Sangaré : « Monsieur, j’ai été informé que vous risquiez d’être expulsé demain. Je suis intervenu pour vous auprès du préfet et du ministre de l’Immigration. On va tout faire pour vous sortir de là. »
Étrange rencontre nocturne, pendant laquelle Garba Sangaré raconte son histoire, symptomatique du traitement réservé par la France à certains de ses immigrés : ici depuis 1990, il nettoie les halls d’immeubles d’HLM pour une société de nettoyage. Licencié parce que sans-papiers, Garba Sangaré revient quelques mois plus tard avec de faux papiers. « Le patron vous a licencié puis repris sous une autre identité ? interroge Jean-Pierre Brard. Il vous connaissait, c’est bien la preuve que ce patron est un voyou, c’est lui qui devrait être ici et vous dehors, avec des papiers. » Originaire de la région de Kayes au Mali, qui alimente en nombre les bataillons des travailleurs immigrés, Garba Sangaré y a laissé une femme et deux enfants, qu’il n’a revus qu’une seule fois en dix-neuf ans. Ses demandes de regroupement familial et de régularisation n’ont jamais abouti.
Dernièrement, il avait constitué un dossier pour obtenir une carte de séjour par le travail, prévue par la circulaire Hortefeux, mais l’employeur n’a jamais rempli les promesses d’embauche…
Chaque mois, Sangaré envoie au Mali l’argent qui fait vivre toute sa famille. Il dit : « J’ai fait des années ici, et je rentre comme ça sans argent, sans rien. Ça me choque, c’est la honte quand même. » Un collègue a réussi à lui faire passer 50 euros, de quoi payer le train entre Bamako et Kayes.
Dehors, une vingtaine de manifestants attendent dans le froid. « Son histoire est un exemple parfait du concept de travailleur jetable, soupire Muriel Wolfers, du Réseau Éducation sans frontières. Vous travaillez en France une vingtaine d’années et, quand vous êtes usés, on vous jette. » Et Jean-Pierre Brard d’ironiser : « Puisque Besson propose des papiers à ceux qui dénoncent leurs employeurs mafieux, moi je le dis : on tient, le patron ! »
Hier après-midi, alors qu’une manifestation était prévue à Roissy pour empêcher l’expulsion et que le député socialiste de La Courneuve, Daniel Goldberg, intervenait à son tour pour demander la libération de Sangaré, le cabinet du ministre Éric Besson nous informait de sa décision de « suspendre la mesure d’éloignement pour réexaminer le dossier ». « C’est un premier acquis, a salué Jean-Pierre Brard. Une chance supplémentaire pour qu’une mesure d’humanité et de justice puisse s’imposer. »
Marie Barbier